Madagascar, Nosy Be

Par Hervé



Mercredi 10 octobre

Ce midi, nous finirons tant les restes que les légumes : pain de thon, salade de tomates, oignons, thon, restes de purée et de taboulé. Et pour ce soir ? Nous avons encore beaucoup de poisson au réfrigérateur, et les coffres sont remplis de pâtes, de riz, de lentilles et de toutes autres épiceries : Bernard s'est promis de ne jamais revivre sa première traversée de l'Atlantique dans laquelle, par erreur de prévision du skipper, ils n'avaient rien mangé toute la dernière semaine. Lorsqu'il en parle, Bernard en est encore ému.

Nous longeons la côte Est de Nosy Be à distance, aucun vent, moteur.Sous la capote et le bimini, la chaleur devient difficile à supporter.Enfin, le vent se lève de face en embouquant le passage entre Nosy Be et Nosy Komba. Au loin, entre Hell-Ville et Ankify, c'est un va et vient de boutres à voiles latines qui assurent l'approvisionnement de Nosy Be, dont la fréquentation touristique n'autorise pas l'auto-suffisance.




Aussitôt ancré dans la baie d'Hell-Ville, des jeunes gens en kayaks plastiques « sit on top » viennent nous proposer de gardienner notre annexe à terre pour 10000 ariany par jour (3 € par jour). Bien sûr, c'est une arnaque : soit on paye, soit l'annexe sera volée. On paye. Et   ça marche : le gardien prend en charge les poubelles accumulées depuis l'île Sainte Marie, il aide à embarquer les 4 sacs de course qu'on a rempli au super « Shampion » [sic] et au marché, que nous avons rejoint en tuk-tuk zigzaguant entre passants, mini-bus de transport collectif bourrés jusqu'au toit et chars à zébu. Au marché les prix sont affichés en anciens francs malgaches, sans que cette unité soit mentionnée. Il faut diviser ces prix par 5 pour obtenir le prix en ariany. Bien sûr, si le touriste ne divise pas, on ne lui rend pas la monnaie.

Retour au bateau, rangement de l'épicerie et de la cave (3 bouteilles de vin malgache blanc, gris et rouge « pour essai », les vins d'importation, dont le supermarché propose un très grand rayon, sont très taxés). Nous laverons les fruits et légumes demain, lorsque nous serons dans un mouillage moins pollué.

Apéro punch et pain de poisson, repas de patates douces sautées à l'oignon et à l'ail, dos de thon.

Quelques musiques et roulis en soirée, assez vite stoppés par un calme plat jusqu'au matin, nuit très chaude à son début, fraîchissant progressivement.


Jeudi 11 octobre

Port de Hell-Ville, île de Nosy Be

Ce matin, crêpes pour suppléer le manque de pain, puis départ rapide vers le mouillage du Cratère, à une petite heure de voile à l'Ouest. Mouillage un peu difficile, sur un fond de corail dont la profondeur évolue très vite. Presque tous les bateaux de plaisance de Madagascar sont là, c'est à notre connaissance la seule « marina » de tout le pays. Bateaux de propriétaire, certains de grandes dimensions, et catamarans de charter sont mouillés sur corps-mort, laissant le choix aux bateaux de passage entre le fond de baie vaseux et le début  de baie rocheux. Un ponton aux poteaux branlants, des annexes amarrées ne laissant qu'une place temporaire aux bateaux débarquant des passagers ou faisant le plein d'eau, mène au « club nautique ». C'est un petit bâtiment rez-de-chaussée, défraîchi, bureau, shipchander, agence de croisière. Repaire de vazas (« blancs ») désœuvrés et quotidien de noirs assurant nonchalamment le travail.

Une buvette-restaurant est installée dans un ancien wagon, derrière une locomotive du 19ème siècle.

Une gérante sympathique organise les services : eau au ponton, apparemment buvable, toilettes et douches rustiques mais propres, machines à laver le linge, location de vélos, gardiennage jour et nuit.

Une piste en terre, défoncée, mène à « la ville ». Elle passe d'abord devant un tout petit chantier naval où un vieux charpentier construit une pirogue à la fois, avec des outils sans âge, herminette, perceuse à archet. Les coques principales sont construites selon deux principes différents selon leur taille. Les plus petites, pour un ou deux rameurs, sont basées sur un tronc d'arbre creusé servant de quille, sur lequel sont ajoutés deux virures en planche cloutées sur champ à travers des réserves taillées en face interne. Les plus grandes sont constituées d'une étrave-partie-avant et d'un étambot-partie-arrière taillés dans la masse d'un gros arbre et parfaitement identique, qui seront reliés par une partie centrale bordée à francs joints. Apparemment aucune étoupe d'étanchéité : quand il y a trop d'eau, on écope avec un vieux bidon d'huile savamment découpé.

Juste après ce chantier, le port des boutres, amarrés à quelques mètres d'un rivage formant quai naturel. Ils sont surtout chargés de sacs de sable, que des dockers déchargent à dos d'homme, 4 sacs à la fois, probablement plus de 100 kg , en marchant dans 1 m d'eau. Il leur faut ensuite surmonter le rivage par un mauvais chemin renforcé parfois de planches branlantes avant de jeter les sacs sur un tas, de les ouvrir et de les vider, puis de les ramener au bateau pour être rechargés par les matelots, inlassablement, dans une vision difficilement supportable de forçats du 19ème siècle.



Le plus effrayant, c'est que le tas de sable d'à côté est en cours de chargement sur un camion benne, pelle après pelle, par d'autres pauvres gars. Et quelques dizaines de mètres en arrière-plan, des catamarans parmi les plus luxueux de la production occidentale, attendant au corps-morts qu'on ait le loisir de plaisancer avec. Vertige.

Plus loin en bordure de la piste, des stocks de branches et de bois sciés, de gravier, de feuilles à couvrir les toits, laisse penser que le port du Cratère répond à un boom de la construction à l'occidentale dans l'île.

La piste devient un grand n'importe quoi, mêlant cases végétales, maisons sans âge, étals de vente de tout et de rien. Souvent la cuisine de la case est ouverte sur la rue et la nourriture préparée pour la maisonnée est aussi proposée à la vente. Chiens errants se reniflant le cul, enfants jouant au cerceau avec de vieux pneus, descendant vers des banlieues improbables en courant derrière et en les conduisant avec deux bâtons, chars à zébus, oies qui attaquent les mollets, vazas revenant du club nautique en 4x4, cigare aux lèvres, portable à l'oreille, indécents de mépris. Une maison est en construction : échafaudages en branchage, travail pieds nus. Un ferronnier travaille aux grilles de cette future maison ; il a installé son « atelier » entre piste et chantier : un bloc de bois dans lequel sont plantés quelques morceaux de fers à béton lui sert de gabarit ; torse et pieds nu, en short, il fignole des volutes qu'il pointe ensuite méticuleusement dans un cadre en cornière, en aveugle car il n'a ni masque, ni casque ni même verre teinté pour se protéger de l'arc électrique.

L'arrivée sur la route change encore le décor ; une route goudronnée, assez large pour 2 camions, avec des trottoirs goudronnés, plutôt en bon état. Sur les trottoirs, à perte de vue, des échoppes, des magasins, des petits ateliers, des stands à même le sol, un supermarché d'une propreté inhabituelle, des habitations, des restaurants-terrasses-couvertes, des passages menant vers le bidon-ville de banlieue, un hôtel 4 étoiles en pierres apparentes, le reste en bois, en branches, en feuilles, en tôle, en parpaings, en je ne sais quoi recouvert de publicités délavées.

Des malgaches partout, accroupis, debouts, assis, marchant, parfois avec des bassines sur la tête, conduisant en zig-zag des vélos, des scooters, des motos, des tuk-tuk, des quads, des voitures, des camionnettes, des camions, jusqu'à un Humvee quasi chromé et vitres teintées.


Une piste en terre défoncée se branche au décor en continuité, pour évoluer peu à peu en marché aux fruits, légumes, poissons et zébu et finir en marché couvert.

Grande quantité de sardines à la vente, les mouches en complétant le poids dans les bascules.

Nous restaurons notre cambuse et rentrons au bateau, revoyant l'épreuve à l'envers. Seule lueur d'espoir, la plupart des malgaches sont très correctement habillés, jolies robes, vêtements qu'on peut croire repassés, sans tâches ni raccords, bijoux, coiffure professionnelle, sans ostentation sauf exception. Très peu de vieux, et l'on doit paraître vieux très tôt dans sa vie. Quelques couples hors nature, vieux vazas bedonnants et jeunes malgaches trop fardées, mais aucun signe soupçonnable de prostitution passagère et encore moins infantile.

Corvée d'eau par jerrican, 120 litres ajoutés au réservoir. Douche, froide mais on ne s'en aperçoit même pas tellement on a chaud. Soirée au wagon de la marina avec calamars et légumes grillés plus bière pour 6 € par personne.


Vendredi 12 octobre

Port du Cratère, Nosy Be.

Aujourd'hui, nous allons visiter le parc national de Lokobe, situé au sud-est de l'île de Nosy Be. C'est une excursion classique pour touristes, mais c'est en pratique la seule manière de voir des lémuriens et des marsupiaux en liberté, que l'on serait bien chanceux de distinguer dans une végétation sauvage sans l'aide d'un guide.

La gérante de la marina s'est chargée de négocier et de réserver pour nous le taxi pour nous y rendre, le guide et le repas de midi.

Nous débarquons avec notre linge salle, qui sera lavé pour nous à la machine par un employé noir (euphémisme) de la marina pour nous être rendu enfin d'après-midi, plié, mais encore mouillé. Le taxi est presque à l'heure, il a emprunté la piste défoncée pour  venir nous chercher à la marina. C'est  un jeune d'une trentaine d'années, très professionnel, dans une Renault 18 plus très bien suspendue, mais très propre. Il ouvre lui-même les portes pour éviter que les poignées nous restent dans les mains. Le pavillon de toit a été refait dans un tissu zébré noir et blanc, d'un effet d'autant plus curieux que la façon parait d'origine. Le soleil est encore bas mais déjà brûlant.

Nous empruntons la piste en terre, je suis un peu gêné. Dans le vieux port, une pirogue à voile débarque un plein filet de sardines pêchées dans la nuit.



Nous rejoignons la route goudronnée direction Hell-Ville. Un peu après la sortie de la ville, un grand camp de cases végétales semble dédié à la fabrication du gros gravier concassé : à la main, au marteau, des dizaines d'hommes, de femmes et d'enfants frappent des gros cailloux pour en faire des petits. Plus loin, la route longe un petit lac d'eau douce et une grande zone maraîchère : la productivité du sol volcanique et les réserves d'eau expliquent en partie l'attractivité de cette île.

La conduite du taxi semble particulière, tout en s'inscrivant probablement dans la pratique locale. Tout est calculé au plus juste, sans laisser la moindre place à l'imprévu : le passant est prié de ne pas changer d'avis en marchant, le gamin de suivre son pneu descendu du  trottoir, le cycliste d'éviter tout écart, le tuk-tuk de freiner pour déposer un passager. C'est incompréhensible, mais nous n'avons vu aucun accident.

Et toujours des commerces, et encore des commerces, de tout et de rien, d'apparence traditionnelle ou occidentale, mais toujours défaichie, comme si l'investissement ne concernait que le stock.

Arrivés à Hell-Ville, nous tournons sur la route de l'aéroport. Le paysage change. Nous traversons une zone de collines plantées d'ylang-ylang. Ces arbres, qui peuvent être gros, sont taillés y hauteur d'homme pour faciliter la cueillette des fleurs à parfum, réalisée deux fois par semaine  toute l'année. Bizarrement, aucune case, aucune habitation, comme si ces champs appartenaient à une multinationale. Végétation et chaleur à part, on pourrait se croire en France.
 ylang-ylang

Nous quittons la route pour la piste se dirigeant vers le village d'Ambatovazavy. Piste en terre et cailloux, défoncée, bizarrement entrecoupée de quelques mètres de goudron. Après plus d'une heure de taxi, nous arrivons au village ; la piste est bloquée par un camion dont la benne est remplie de supporters d'un candidat à la prochaine élection présidentielle ; tous portent un teeshirt orange au nom de ce candidat, certains des drapeaux ; ils vont manifester à Hell-Ville leur soutien et attendent probablement quelques retardataires. Qu'importe, notre taxi a le droit de travailler ; il arrête soigneusement sa voiture au milieu de la piste, nous demande de sortir, ferme ses portes à clef, nous emmène à l'autre extrémité du village pour nous confier au guide ; ce dernier est introuvable, il faut téléphoner à son fils, les manifestants, enfin prêts à partir, s'impatientent... le guide apparaît, tout va bien, il nous demande d'attendre qu'il ait mis sa pirogue à l'eau.

Deux mini-bus pleins de touristes arrivent bientôt : le bout du village apparaît comme le lieu de rendez-vous des touristes souhaitant visiter le parc. Un départ groupé s'organise sur la plage : un grand canot motorisé en plastique, trois pirogues de trois touristes et deux rameurs, notre pirogue de deux touristes et deux rameurs. Notre guide et son fils sont avec nous. Ils ont apporté une pagaie supplémentaire qui me permettra de les aider.

Nous traversons une grande baie de part en part pour atteindre le départ de la ballade. L'eau semble peu profonde, mais elle est boueuse de la pluie de la nuit précédente et il est difficile d'en juger. Bien évidemment, pas de gilets et notre guide qui écope fréquemment ; au centre de la baie, la mer est assez forte, avec creux de 1 m et vagues très courtes à la limite du déferlement ; Bernard, assis tout à l'avant, fait le yo-yo devant moi ; bien sûr, si la pirogue à balancier était submergée, elle continuerait à flotter et il suffirait d'écoper, mais personne n'a demandé à personne s'il savait nager. Nous arrivons sur une plage, de l'autre côté de la baie ; elle a beau être dans le parc national, un resort italien y est installé.

Nous débutons la visite en montant un petit chemin. Collines, alternance de zones arides et de bois de taillis ponctués de quelques arbres plus importants ; chaleur ; cris très stridents des cigales. Nous arrivons dans un réseau dense de petits chemins en terre, certains très escarpés ou en dévers dans lequel les différents groupes de touristes se dispersent en s'accrochant à ce qu'ils peuvent.  Notre guide marche pieds nus, sans souci d'adhérence ni d'équilibre ; il nous montre,  nomme et explique tout ce qu'il voit, petits marsupiaux endormis dans les arbres (ils mangent des mangues la nuit), serpents lovés sur des branches, lézards,  caméléons, oiseaux, plantes, fleurs, arbres et fruits. Bernard photographie avec méthode, notant précisément chaque nom. Lorsqu'un guide voit quelque chose, il le signale aux autres guides à la voix. Arrivés à une cascade, nous faisons une pause. L'eau coule avec abondance, elle est un peu trouble.

Lépilémur nocturne




Au bout d'une heure trente, retour à la plage. Nous rentrerons au village à pieds en suivant la grève. En chemin, nouvelle pénétration en forêt pour voir de grands marsupiaux très haut dans les arbres. Les petits sont de couleur beige, les femelles marrons, les mâles noirs. Pratique, permet d'éviter les inconvenances.
Lemur diurne MACACO


Retour au village après 2h30 de marche ; le sable, parfois de couleur brune, brûle la plante des pieds.

Très bon repas préparé par l'épouse du guide et servi à l'ombre d'un toit de feuilles : salade acidulée de carottes et choux vert rapés, grillades de poisson et langouste, brochettes de crevettes, riz, pain blanc, eau cachetée, bananes. On nous demande 100000 ariany (30 €) pour la pirogue, la promenade guidée et les repas. Comme disait Coluche, il y en a de plus égaux que d'autres, j'ai le sentiment d'en faire partie.

Sieste sur une natte gentiment prêtée par le guide, le taxi est ponctuel au rendez-vous de 15 heures. Pour l'aller et le retour, probablement 4 à 5 heures de conduite en tout avec ses propres retours en ville, il nous demandera 140000 ariany (42 €), alors que l'essence coûte à peu près le même prix qu'en France.

Retour au club nautique en taxi, sentiment renouvelé de n'être pas à sa place sur cette piste, récupération du linge lavé, bière au wagon.

Retour au bateau, étendage.

Repas simple, ananas, restes de poisson, ratatouille maison, banane.


Samedi 13 octobre

Port du Cratère, Nosy Be.

Aujourd'hui, nous avons le projet de déplacer le bateau vers le mouillage situé entre l'île Sakatia et Nosy Be. C'est un bras de mer situé à 10 km du port du Cratère, côté Nord-Ouest, il paraît qu'on y trouve de beaux sites de PMT (Palme Masque Tuba), ainsi que des tellines sur une plage qu'on nous a indiqué.

En relevant l'ancre, nous comprenons pourquoi nous avions eu du mal à crocher en l'installant jeudi passé : la chaîne s'est emberlificotée avec une grande branche d'arbre aux nombreuses ramifications. Heureusement, le vent n'est pas fort, le courant non plus, le mouillage est calme, nous disposons de temps et le bateau reste immobilisé par l'ancre, chaîne tendue. Il faut remettre l'annexe à l'eau, y embarquer une scie, couper ce qu'on pense être la clef du fouillis, tirer avec des bouts, pousser, lever, tordre, dans la gadoue accrochée à la branche, du haut, du bas et de l'annexe d'un voisin anglais qui s'est spontanément mis à notre disposition. Une fois la branche libérée, Bernard l'attache à son annexe et la remorque jusqu'en dehors du mouillage pendant que je fais la toilette du pont, du balcon avant et des filières, toilette que Bernard finira à son retour, depuis son annexe.

La navigation ne pose aucune difficulté particulière, le temps est clément. Nous rencontrons beaucoup de pirogues monoxyles à balancier en pêche, assez loin de la côte, montées par un ou deux hommes (les féministes ne s'en émeuvent pas !), voile carrée roulée sur les deux vergues et posée sur les traverses. Ils pêchent à la dandinette (un fil portant un ou plusieurs hameçons, manipulé de bas en haut pour simuler un appât vivant.

Nous arrivons au mouillage pour y manger. La côte Est, côté Nosy Be, est plutôt plate et un peu habitée ; en arrière-fond, les collines, de formes et de végétation diverses, semblent peu accueillante à la vie. Côté Ouest, l'île Sakatia présente un relief tourmenté, quoique de hauteur modeste. Un village qui semble traditionnel borde une grande plage, puis chaque coin propice - petite plage, colline avec vue proche sur la mer - porte une ou plusieurs constructions « européennes », resort, hôtel ou villa. Les petites plages sont aménagées de parasols et de chaises longues. Des pontons attendent les bateaux, des escaliers et une passerelle permettent l'accès aux logements. Seuls les toits sont rarement végétaux, les murs sont sans rapport avec l'architecture traditionnelle, on voit même des logements de vacances constitués de deux pentes de toit allant jusqu'au sol, le pignon vers la mer, complètement ouvert, laissant voir le lit qui semble le seul meuble. Lorsqu'on ne voit rien, c'est que la mangrove arrive au ras de la mer.

L'après-midi, il fait très chaud, la sieste se prolonge jusqu'à ce que le soleil devienne supportable. Nous sortons en annexe pour rejoindre la terre. Notre premier essai nous porte dans une anse, juste en face du bateau, dont l'entrée est suffisamment resserrée pour qu'on y voit rien de l'extérieur. À l'intérieur, une case traditionnelle que rejoint un pêcheur en pirogue, un catamaran à l'échouage, un quillard  fabrication amateur appuyé sur un quai, un escalier menant du quai à une maison occidentale dominant le tout. Je préconise une mise à terre à l'escalier, Bernard préférerait la case du pêcheur, nous allons plus loin vers le Nord. Nous abordons une plage dont on ne sait dire si elle dessert un resort ou une villa. Un gardien noir est en train de se baigner, il nous signifie que le propriétaire nous interdit d'entrer. La marée est haute, nous ne savons pas si un chemin public débouche sur la plage, nous ne souhaitons pas entrer en conflit, nous n'avons pas de vue vers la côte Nord en raison d'une pointe rocheuse, nous revenons donc vers le Sud.

Passant devant une mangrove, nous entendons des cris : six enfants de moins de 10 ans s'y baignent en jouant. Ils semblent un peu effrayés par notre venue, nous n'insistons pas.

Plus loin, une toute petite plage semble vierge ; elle est surmontée, sur la colline adjacente, d'un petit chalet en bois et ciment qui semble de construction préfabriquée et inoccupé. De la plage, un escalier « fait maison » monte au chalet. De là-haut, la vue sur le bras de mer est splendide. Le chalet ressemble plus à un local d'hébergement de jeunes qu'à une habitation de vacances, quoique beaucoup s'en contenterait.

Un petit chemin part vers le Nord, de collines en collines, en suivant globalement la côte. Ce chemin faisant, nous croisons le groupe de jeunes précédemment aperçu dans la mangrove. Ils nous laissent passer en s'écartant, plus réservés qu'effrayés, sans répondre à nos bonjours. Ils sont correctement habillés, certains portent même des sandales en plastique. Le dernier, probablement le plus grand, apparaît plus téméraire. Il s'exprime en français par des mots accolés souvent incompréhensibles. Il nous demande de l'argent, comme s'il ne comprenait pas sa fonction d'échange, comme s'il n'avait aucune idée de comment on s'en procure, de ce qu'est le travail. Manque de chance, j'ai oublié de prendre les biscuits confectionnés à leur intention. Ils continuent leur chemin, sans que l'on ait pu déterminer vers où ils se rendaient.

Nous continuons vers le Nord malgré le soleil couchant. Le chemin, large d'une personne, se perd parfois dans des zones rocheuses. Étonnamment, des bornes l'accompagnent sur sa gauche ; elles sont constituées d'un bloc de granit taillé carré, inséré dans une réserve dans le sol, elle-même taillée carrée, ajustement très soigné. Chaque borne porte une lettre et un chiffre, ce dernier incrémenté. Limite de propriété d'un milliardaire ?

Le chemin se perd après une zone de cueillette de bambous, qui constituent, une fois séchés et alignés verticalement, les murs des cases traditionnelles de cette région. Nos espoirs de rencontrer un plus grand chemin qui ferait le tour de l'île sont déçus. Nous retournons au bateau dans le soir rougeoyant ; Bernard met la rallonge à la poignée du hors-bord et, gaz à fond, équipage centré dans la longueur de l'annexe, la fait déjauger, pour le fun, dans le petit clapot.


Dimanche14 octobre

Mouillage de l'île Sakatia.

Nous avons connaissance d'un site de plongée réputé, proche de l'île Sakatia et nommé « la piscine », sans en connaître la localisation exacte. Une recherche sur la carte marine, suivie d'une confirmation sur une carte satellite, nous font penser qu'il se situe juste en face du village de Sakatia, au début du bras de mer dans lequel nous sommes ancrés.

Nous nous y rendons en annexe, avec palmes, masques et tubas. Mais la marée ne sera basse qu'à 13 heures et le courant est actuellement fort, nous disposons de quelques heures pour visiter le village. Derrière une très belle plage, un restaurant de plein air attend les touristes amenés de Nosy Be en vedette. Plus loin sur la plage, quelques stands proposent des souvenirs qu'on souhaiterait d'artisanat local tels que paréos ou sacs tressés. Le tout, sous le couvert des cocotiers, se fond dans la végétation. Le village, immédiatement derrière, semble préservé avec quelques particularités : les cases sont plus espacées, certaines entourées d'un jardin clôturé sobrement de quelques pierres symboliques ; certaines cases sont de construction mixte, le bas des murs en maçonnerie, le haut en bambous verticaux jointifs, le toit en feuilles ; un dispensaire de construction occidentale organise des permanences mensuelles d'un médecin et d'un dentiste, une plaque indique qu'il a été financé par un Rotary Club italien ; l'école, également construite à l'occidentale, est grande, un terrain de foot sert de  cour de récréation ; une passerelle très élaborée, construite en bois avec une suspension par câbles, permet de franchir un marigot dans lequel des femmes font la lessive ; un robinet collectif amène de l'eau d'on ne sait où. Une jeune femme, portant un bébé dans les bras, nous demande où nous allons. Elle parle un peu français, un peu anglais, un peu mieux italien, qu'on apprend aussi à l'école pour répondre à une demande touristique locale. Nous lui expliquons que nous souhaitons marcher sur le chemin du prochain village. Elle nous demande de l'attendre le temps de confier son bébé à une cousine. De retour, elle nous propose et nous vend des aubergines. Elle nous dit avoir 25 ans, quatre enfants, un frère pêcheur et pas de mari. Elle se propose de nous faire à manger ce prochain midi, poulet, poisson ou calamars. Nous refusons en expliquant que nous préférons aller nager. Elle nous propose alors un massage en le mimant sur elle-même, dans le cou, dans le dos, en précisant mais pas sur le sexe. Sa gentillesse et sa spontanéité émeut mon cœur d'artichaut, je sens la main de Florence me tenir la culotte, nous déclinons gentiment. Elle se met alors en chemin avec nous, pour on ne sait où, un gros sac sur la tête, en compagnie d'un garçon de huit ans et d'une jeune fille qui dispose d'un téléphone mobile. Ils nous guident vers ce qu'ils appellent « la route » et qui n'est qu'un étroit chemin de terre. Ils nous expliquent qu'il est « fady » (tabou) de s'en éloigner pour pénétrer dans la végétation sauvage. Dans la vallée suivante, après un champ de manioc bien entretenu, le chemin franchit un marigot sur un tronc d'arbre biscornu que chacun franchit en équilibriste ; je n'ai pas l'esprit joueur, il n'y a que peu d'eau en cette saison sèche, quelques dizaines de mètres plus loin m'épargnent cette épreuve.

Le chemin contourne un champ de bananiers, puis mène au prochain village. Un peu retiré dans les terres, il semble plus traditionnel, quoique notre guide nous désigne « la discothèque », une grande case vide munie de baffles dans laquelle on danse le samedi soir. Elle nous mène enfin à la boutique accolée à la discothèque, où l'on trouve des produits tels que des cigarettes, du pastis, des bonbons et des biscuits et quelques légumes. Nous y achetons des tomates. Bernard continue le chemin avec notre troupe jusqu'à la plage suivante, je me repose au village, souffrant de la chaleur. Bernard revient, mange une mangue qu'on lui a donné (à la campagne, personne n'en vend, il suffit de les ramasser vertes sous les énormes manguiers sauvages puis d'attendre qu'elles mûrissent).

Un tout petit garçon regarde la mangue de Bernard avec envie. Sa mère nous rejoint avec un morceau de mangue pour son fils. Elle nous propose de nous faire à manger, pour ce midi, pour ce soir ou pour demain. Elle insiste, quasiment implorante, nous déclinons sans ambiguïté. Elle nous suit sur le chemin du retour jusqu'après le marigot. Nous lui disons au-revoir, elle nous baise les mains. Qu'en penser ? Elle était plutôt jeune, bien habillée d'un paréo et elle et son fils semblaient correctement nourris. Quoiqu'il en soit, la fréquentation touristique a fait s'évanouir la crainte de la rencontre d'un inconnu.

La plongée dans « la piscine » répond à nos espoirs. C'est une petite zone marine protégée, entourée de bouées sur corps-morts. Le fond est de quelques mètres, constitué d'un herbier sur lequel se dispersent des têtes de corail poissonneuses. Nous nageons même, à un moment, dans un banc de petits poissons d'un bleu très vif. Mais le clou du spot, c'est la présence de grosses tortues qui nageottent entre deux eaux ou broutent le fond d'algues. Bernard estime leur longueur à deux mètres ; pour moi, leurs carapaces mesurent un mètre, auquel il faut ajouter la tête et les nageoires antérieures et postérieures.

Nous revenons ensuite au bateau et bullons toute l'après-midi ; j'en avais besoin, souffrant toujours de la chaleur, d'autant que le courant oriente le bateau perpendiculairement au vent, ce qui en diminue beaucoup l'aération par les capots tenus ouverts.


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