d'après Hervé


Samedi 10 Novembre

Archipel de Bazaruto, Mozambique, mouillage immédiatement à l'Ouest de la pointe Chissangune, île de Santo Antonio.

(Nous quittons Bazaruto à 5h20, direction Richard's Bay ou Durban, plus de 500 milles en 4 à 5 jours.)



Le vent de Sud a soufflé une grande partie de la nuit, les haubans aussi, mais la protection de la langue de sable a suffit à rendre la nuit confortable.

Nous sommes vraiment au milieu de  nulle part ; je prend deux photos panoramiques, de l'arrière à l'avant du bateau, une de chaque bord, en souvenir.

Nous levons l'ancre très tôt le matin pour embouquer la passe à marée haute. Bernard a préparé une route GPS de 3 miles avec 5 changements de direction pour éviter les bancs de sable, bien visible sur la photo satellite. Le premier segment nous amène au milieu de l'embouchure. De là, où que l'on regarde vers la sortie, on ne voit que barres déferlantes plus ou moins lointaines. On voit aussi le voilier américain et le catamaran qui, partis avant nous, y sont déjà largement engagés, voire presque sortis, après avoir utilisé la même séquence que la nôtre. Nous avons donc toutes raisons d'être confiants et de nous engager.

Après un changement de direction dont le sens échappe à la vue mais pas au sondeur qui affiche quelques mètres au dessus de la marée, nous nous dirigeons droit sur une barre très bien formée de plusieurs ondulations très hautes quoique non déferlantes ; un nouveau virage est évidemment prévu et cela n'a rien d'inquiétant. À ceci près que la barre arrive très vite, alors que le point de virement tarde à venir. Arrivé à une centaine de mètres, j'appelle Bernard à monter sur le pont en catastrophe, prêt à faire demi-tour ; confiant dans sa technicité et dans ses instruments, Bernard maintient sa route, il me demande juste de la modifier un peu pour prendre les vagues bien de face, et le rodéo commence ; curieusement, rien ne valse à l'intérieur et la profondeur apparaît importante, 13 m au dessus de la marée haute. Ouf ! Pour la suite du gymkhana, la confiance maintenant établie supportera pourtant quelques ajustements de dernière minute, lorsque la route prévue approchera trop près des barres déferlantes...

Le reste de la journée est moins glorifiant : le vent de 20 nœuds est exactement parallèle à la côte que nous devons longer sur 120 miles, nous l'aurons donc en plein dans le nez ; nous aurions le choix de tirer des bords au large pour grignoter peu à peu la route, mais cette option, compte tenu de la faible remontée au près de notre bateau, nous demanderait 3 jours de navigation, ce qui entamerait trop la  période de vent portant que nous espérons trouver dans la suite du parcours ; nous affrontons donc le vent de face, au moteur, dans une mer formée par 3 jours de vents forts. Faut-il, dans ces conditions, maintenir la grand-voile hissée quoique faseyante et la dérive basse ? Nous pratiquons des essais. Première conclusion : la grand-voile haute exige de baisser la dérive, faute de quoi la carène plate de l'OVNI ne sait pas où aller. Seconde conclusion, à régime moteur égal - ce qui, dans un ensemble diesel-hélice, n'est pas exactement à consommation égale, la vitesse gagne 1/2 nœud grand-voile haute et dérive basse. Comment comprendre un phénomène si peu intuitif ? J'y vois deux raisons : le roulis est fortement diminué, ce qui doit favoriser un écoulement laminaire sur la carène, et le mât doit bénéficier d'un meilleur aérodynamisme par suppression des remous arrières.

À midi, nous déjeunons de boîtes de salade mexicaine au thon et de yaourts maison au miel sauvage de Madagascar.

Le soir, purée maison - au lait mais sans beurre ! avec saucisses de Strasbourg.

Moteur, tangage, musique au casque, petits sommes sur la couchette du carré.

En début de nuit, nous passons probablement devant une antenne de téléphonie mobile : sms, emails, mise à jour des fichiers de prédiction des vents et de la mer.

Dimanche 11 Novembre

En mer, côte du Mozambique, entre l'île de Bazaruto et l'Afrique du Sud.

Peu à peu, le vent de Sud s'est affaibli dans la nuit et a adonné vers le Sud-Est en devenant très variable en force et en direction, mettant en échec le régulateur d'allure par des départs au lof et à l'abattée dûs à une mer restée forte. Au petit jour, nous sommes encore à 30 milles d'Inhambane, nous pouvons mettre le génois et arrêter le moteur. Nous retrouvons le réseau de téléphonie mobile du Mozambique « Movitel » en passant devant la pointe d'Inhambane et ne le perdrons plus jusqu'à la pointe Zavora.

Temps de demoiselle, près bon plein avec vent faible, appuyé par le moteur. À midi, nous l'arrêtons pour manger dans le calme : mahi-mahi (conservé sous vide au réfrigérateur depuis...) à la tomate, riz, compote. La vitesse descend à 4 noeuds. Nous longeons la côte du Mozambique à environ 6 milles (10 km) de distance. Elle nous apparaît sableuse, formée d'une très haute dune couverte d'une végétation aride ; les seuls signes de vie sont quelques fumées sur les hauteurs. Je me fais la réflexion que seuls quelques pêcheurs devaient y habiter et je regarde machinalement vers l'avant : deux canots modernes, en plastique, dotés de petits hors-bord, sont à une cinquantaine de mètres, montés chacun par six ou sept personnes qui s'y entassent, pêchant chacun à la dandinette. Les aurions-nous vu de loin que nous serions allés vers eux, les prenants pour de possibles naufragés. Se sont-ils déplacés de quelques mètres pour éviter notre trajectoire ? Avons-nous eu chacun de la chance ? Sont-ce des pêcheurs du Dimanche ? Nous nous faisons de grands signes amicaux en leur souhaitant bonne chance. Éloignés comme ils le sont de la côte, partir à deux canots, donc à deux moteurs, et rester groupés est une mesure élémentaire de prudence.

Le soir, nous doublons la pointe Zavora, puis nous continuons vers le Sud-Sud-Ouest et Richard's Bay ou Durban, le choix de Bernard n'étant pas encore fait, en quittant la côte qui s'incurve vers le Sud-Ouest. La nuit tombée, nous sommes toujours en contact visuel avec le catamaran sorti en même temps que nous de l'archipel de Bazaruto. Nous sommes peu à peu rattrapés par un bateau à moteur qui suit la même route que nous ; le vent monte d'un cran et nous arrive maintenant de travers ; notre vitesse monte à 6 ou 7 noeuds, notre rattrapant reste un bon moment sur notre avant-tribord. Un cargo nous croise, sur une route exactement opposée à la nôtre ; nous sommes 4 bateaux à quelques milles de distance, dans la nuit noire, aurions-nous déjà retrouvé la société occidentale ? À Paris, on commémore les 10 millions de patriotes décédés pendant la première guerre mondiale, en opposant patriotisme et nationalisme. Aurait-on oublié l'internationalisme ? Aurait-on oublié que beaucoup de ces morts, s'ils n'étaient pas internationalistes avant la guerre, le sont devenus avant de se faire tuer, dos ou face aux gendarmes de leur propre pays ?



Lundi 12 Novembre

En mer, entre le Mozambique et l'Afrique du Sud.

Troisième jour de cette traversée.

Toute la nuit, le vent a soufflé modérément du Sud-Est, travers à notre route, nous avons bien avancé. Soleil levé, le catamaran et le bateau à moteur ne sont plus visibles. La mer s'est levée dans la nuit avec le renfort du vent, des petits moutons blanchissent la crête des vagues ; soudain, dans un bruit de grosse masse frappant la coque, une petite déferlante, à l'évidence très isolée, asperge le cockpit.

Deux oiseaux chassent dans le sillage, rasant l'eau, reprenant quelques mètres de hauteur de quelques coups d'aile, replongeant derrière une vague, inlassablement. Pourquoi chasser au large, alors que leurs proies ne doivent peser que quelques grammes ? Pourquoi sont-ils deux ? On ne les imaginent pas jouant à la bête à deux dos en l'air ou sur les vagues, encore moins y pondre un œuf. On ne les imaginent pas non plus se porter assistance, ni même se partager leurs proies. Probablement  ont-ils une garçonnière à terre... Bon sang ! Ils ne sont plus deux, mais quatre, cinq, six, une garçonnière ne suffit plus, il faut une maison de famille ! Sept, huit, neuf, et de deux espèces bien différentes ! Là, il leur faut un lupanar !

À midi, le vent est à 20 noeuds et nous le prenons grand largue, conformément aux fichiers prévisionnels des vents. La mer s'est reformée, un peu désordonnée par la petite rotation du vent, nous la recevons sur la hanche, tangage et roulis alternés dans un dandinement continu. Nous avançons à 7,5 noeuds, dont probablement 1 est dû au courant des Aiguilles. Richard's Bay est à 180 milles, nous devrions arriver à sa hauteur demain en fin de journée, probablement allons-nous continuer sur Durban où nous arriverions Mercredi matin.

Au menu, salade composée de concombre (le dernier, de Madagascar), maïs en boîte, comté et oignon, puis yaourt maison au miel sauvage.

En milieu d'après-midi, Bernard refait ses calculs : à notre vitesse actuelle, nous arriverons dans la nuit à Durban ; par ailleurs un renforcement du vent est prévu jusqu'à 25 noeuds, avec rotation au vent arrière ; il décide d'anticiper en affalant la grand-voile ; nous perdons 1 noeud de vitesse et il suffira maintenant de rouler le génois pour nous adapter au vent.

Au coucher du soleil, nous rattrapons le catamaran qui a aussi baissé sa grand-voile ; son foc est très petit, il a perdu beaucoup de vitesse.

Apéro au vin blanc avec le dernier demi-ananas, lentilles au lard, pomme ou compote.

Vers minuit, nous avons perdu de vue le catamaran. Nous sommes au grand-largue babord amure. Le vent change très souvent de force, faisant lofer le bateau lorsqu'il forcit de 12 jusqu'à 22 noeuds ; il faut régler le régulateur d'allure très souvent, ce qui ne suffit pas à conserver globalement notre cap.

Nous croisons un cargo, qui fait exactement une route inverse à la nôtre ; je profite d'un renforcement passager du vent pour laisser lofer, ce qui suffit à l'éviter tout en restant manœuvrant, éloigné du vent arrière et de l'éventuelle nécessité d'empaner.



Mardi 13 Novembre

En mer, entre Mozambique et Afrique du Sud.

Au lever du soleil, nous sommes toujours grand-large babord amure. Le vent, mais surtout la mer ont forci. À peine posé sur la marche de la descente pour être monté dans le cockpit, le petit déjeuner prend son envol ; cela décide Bernard à rouler le génois au 6/8 de sa bordure, réduisant ainsi sa surface à 6x6/8x8 = 56% de sa surface potentielle.

Vers 13 heures, nous passons devant Richard's Bay, à environ 10 milles de la côte. Le vent a encore beaucoup augmenté, de 28 à 33 noeuds dans de longues rafales ; le génois a été roulé jusqu'à une surface de quelques mètres carrés ; malgré cette réduction, notre vitesse sur le fond est encore de 9 noeuds, dont probablement 4 à 5 sont dûs au courant des Aiguilles, particulièrement fort à l'endroit où nous sommes et renforcé par le vent ; la mer est également forte ; j'estime les creux à 3 m, les vagues sont abruptes et les moutons qui les ornent prennent de plus en plus souvent l'aspect de petites déferlantes dont les embruns montent jusqu'au cockpit ; le ciel est gris, nuageux, la visibilité est réduite à quelques milles.

Une ribambelle de minéraliers sont mouillés entre nous et la côte, par 50 à 100 m de fond, sans aucune protection, espacés les uns des autres d'à peu près 1/2 mille, probablement en attente d'un chargement à Richard's Bay.

Dès que nous l'identifions sans ambiguïté, nous visons le cul du dernier avec pour projet de nous rapprocher de la côte pour réduire le courant et le vent, suivant en cela les conseils de notre routeur local ; cette nouvelle direction amène le vent et la mer de travers, des déferlantes claquent sur la coque, mais le courant est tel qu'il nous emporte et nous n'arrivons dans l'axe de notre cible qu'un bon mille derrière lui.

Le catamaran qui nous suit s'annonce au port de Richard's Bay par VHF ; il a probablement approché le chenal d'accès beaucoup plus près de la côte que là où nous sommes passés, mais son propriétaire nous a indiqué être très sous-motorisé avec 2 fois 35 chevaux et être incapable de remonter un vent de plus de 25 noeuds ; nous espérons qu'il parviendra à rejoindre les jetées avant d'être emporté hors du chenal.

En ce qui nous concerne, nous rapprocher de la côte nous réussit ; nous sommes maintenant sur des fonds de 40 m, le courant portant est tombé à 2 noeuds, la mer s'est un peu assagie, nous continuons vers Durban dans le soir tombant.

Au menu, suivant la recette expérimentée de longue date dans ce type de circonstances : pommes de terre à l'eau, œufs durs, pommes crues.

La nuit venue, le vent continue de monter, les rafales atteignent maintenant 35 noeuds, nous avons encore réduit la surface du génois à 2 ou 3 m2 pour maintenir le nez du bateau dans le vent, nous finirons par le border plat dans l'axe pour diminuer au mieux notre vitesse, les déferlantes claquent de temps à autre sur la hanche dans un grand bruit de tôle bousculée en arrosant le cockpit, nous fermons les fargues et le panneau de descente, le veilleur dans le cockpit est en permanence longé, on ne reste pas assis dans le cockpit sans se tenir. Le « quart en bas » se prend tout habillé. Le régulateur d'allure tient le vent arrière avec des embardées de plus ou moins 20°, les coups de gite se succèdent à chaque train de grosses vagues, mais, avec la dérive remontée de moitié, nous ne subirons aucun départ au lof ou à l'abatée.

Académiquement, nous ne sommes pas en fuite puisque nous sommes sur la route de là où nous allons, mais il nous serait difficile d'aller ailleurs.

Dans la nuit, la durée des quarts diminue pour répondre à la plus grande tension de la veille, mais la fréquence des déferlantes diminue. Nous prenons confiance dans la capacité du bateau à soulager de l'arrière sans enfoncer l'avant, mais nous n'aurons jamais eu l'impression d'être en autre danger qu'être trempé.

Bernard passe son dernier quart de veille assis sur la plus haute marche de la descente, dos aux fargues, capot ouvert ; il me dira plus tard ne pas se souvenir d'une navigation plus difficile, sauf lorsqu'il s'est fait coucher en tentant de voir de près le Cap Horn... Heureux caractère qui ne se souvient que des bons moments ? Habitude de ne partir qu'en bonne saison, avec une bonne météo ? Mémoire déformée par plusieurs années de tropiques et d'alizés ?

Nous approchons de Durban et de l'aube. Le trafic autour de nous est de plus en plus important. Quelques cargos au mouillage nous imposent un dernier détour, ils sont heureusement très bien éclairés et visibles à l'AIS. Nous obliquons vers la terre et le chenal d'accès. Le vent a diminué, les rafales ne dépassent plus 25 noeuds, mais une déferlante claque encore de temps en temps sur la hanche. Peu à peu, le vent diminue, le génois est déroulé, la mer se calme, il est 4h du matin, le jour se lève, le génois est ré-enroulé, le moteur mis en marche.


 Bernard demande par VHF l'autorisation de rentrer au port, elle lui est accordée en anglais, avec un accent à peine compréhensible. Des  vagues déferlent encore à l'entrée de la jetée, nous nous dirigeons vers la marina, nous trouvons la place que le fils de Bernard a réussi à réserver par téléphone, la croisière est terminée. Léonard Cohen a chanté

« All men will be sailors then until the sea shall free them » ; je ne peux qu'espérer que cette liberté soit enfin advenue.


d'après Hervé
(du jour le plus récent au plus ancien)

Samedi 10 Novembre

Archipel de Bazaruto, Mozambique, mouillage immédiatement à l'Ouest de la pointe Chissangune, île de Santo Antonio

Le vent de Sud a soufflé une grande partie de la nuit, les haubans aussi, mais la protection de la langue de sable a suffit à rendre la nuit confortable.

Nous sommes vraiment au milieu de  nulle part ; je prend deux photos panoramiques, de l'arrière à l'avant du bateau, une de chaque bord, en souvenir...

Suite dans la partie"traversée Mozambique - Durban"


Vendredi 9 Novembre 

Île Bazaruto, Mozambique, mouillage un peu au Nord de la pointe Gengareme.

Douzième et dernier jour à ce mouillage d'attente.

Le vent a encore soufflé fort durant la nuit. À un moment, le courant de marée positionnait le bateau juste en travers du vent ; entendu depuis la cabine arrière, le bruit de la tôle de fond, presque horizontale, frappant l'eau de toute la force du tangage était très impressionnant ; les chaudronniers, comme les mécaniciens, n'aiment pas le bruit, signe de vibrations et de souffrance du métal qui ne peut entraîner à terme que des fissurations là où une partie souple, par exemple le milieu d'une tôle, est bloquée par une partie rigide, par exemple cloison, varangue ou tube de jaumière... Pas de panique ! Une fissuration mettra longtemps à s'étendre et ne laissera passer que peu d'eau, le bateau ne coulera pas s'il est habité ou surveillé !

Le matin, le calme est revenu. Le catamaran anglais s'éloigne par la passe Nord pendant notre petit déjeuner ; nous ne savons pas où ils vont et ne comprenons pas ce choix de repartir par où ils sont arrivés, alors que du vent fort reste annoncé au large. Les fichiers de prévision des vents n'évoluent que très peu, laissant espérer sept jours favorables à compter de demain. Nous estimons que quatre jours seront suffisants pour rejoindre l'Afrique du Sud, soit à Richard's Bay, soit une douzaine d'heures après à Durban, nous décidons donc de prendre le large Samedi matin, en nous avançant dès cette après-midi à proximité de la passe Sud de l'archipel de Bazaruto. Nous rencontrerons ensuite deux difficultés : descendre au près serré, toute la journée et une bonne partie de la nuit de demain Samedi, jusqu'à la pointe d'Imhambane à partir de laquelle la côte s'incurve ; entrer dans Richard's Bay par vent de 30 noeuds de travers Mardi prochain ; cette dernière perspective n'est pas certaine, les prévisions peuvent évoluer et la force du vent dépendra de l'heure à laquelle nous nous présenterons dans le chenal d'accès au port. Mais ici, on appelle cela des conditions très favorables dont il serait exclu de ne pas profiter.

Pendant que les pêcheurs s'activent inlassablement à poser leur senne pour la tirer du rivage, nous préparons le départ : rangements, préparation d'une couette en prévision des froidures du printemps austral, recharge des batteries de lampe frontale, démontage du moteur de l'annexe et accrochage sur le balcon arrière, hissage et rangement de l'annexe sur le pont, remontage du régulateur d'allure.

Nous n'aurons bientôt plus de fruits et de légumes frais, aussi nous économisons ce qui nous reste. Repas : toasts au pâté, sardines fraiches poêlées, reste de pommes de terre, initialement cuites à l'eau, sautées, petites mangues.

Départ après la sieste, vers 15 h ; le vent vient du Sud, entre 18 et 22 noeuds ; pour rejoindre le mouillage de la passe Sud, nous suivons un itinéraire établi par Bernard en fonction de ce qu'il a lu de nos prédécesseurs, complété par une étude minutieuse des photos satellite qui montrent précisément la position des bancs de sable ; le tout donne une route GPS émaillée de 9 changements de direction pour une dizaine de milles. La marée sera encore montante pendant 3 heures, ce qui devrait permettre de se déséchouer au besoin, et le soleil sera haut ou latéral en fin de parcours, ce qui devrait faciliter le repérage des hauts-fonds. Une première partie se fait au près serré, le reste essentiellement vent de face ; nous hissons la grand-voile à trois ris pour rester manoeuvrant en cas d'ennui moteur et pour économiser un peu le gasole, mais en pratique nous ferons tout le trajet au moteur. Mauvais présage, Bernard voit sa casquette s'envoler dans une rafale et se perdre avant même d'avoir levé l'ancre. Nous sommes suivis par nos deux voisins, le catamaran et le bateau classique américain, avec lesquels Bernard s'est préalablement concerté. Le parcours sera réalisé avec attention mais sans aucune difficulté, un clapot bien formé marquant de moutons blancs les hauts-fonds à éviter. Nous arrivons au mouillage vers 17h30 ; au milieu de nulle part, il n'est séparé de la haute mer que par un cordon dunaire de faible hauteur, distant de 500 m, qui laisse passer le vent du large de  ; le sifflement de ce vent dans les haubans est impressionnant mais le fond de sable n'est qu'à quelques  mètres et semble de bonne tenue, nous sommes à marée haute, le courant est nul, le bateau s'oriente dans le lit du vent, une embellie est prévue dans la nuit et l'ensemble est pour l'instant plutôt confortable.


Jeudi 8 Novembre 

Île Bazaruto, Mozambique, mouillage un peu au Nord de la pointe Gengareme.

Onzième jour à ce mouillage d'attente.

La nuit passée a été ventée, jusqu'à 27 nœuds continus à l'anémomètre. Courant de marée aidant la tension des chaînes d'ancres, le catamaran voisin l'était de plus en plus, ce qui a amené son propriétaire à réduire sa longueur de chaîne en pleine nuit, puis à attendre le jour et une accalmie du vent pour relever son ancre et se déplacer un peu plus loin, comportement certes normal puisqu'il avait mouillé après nous, mais dont nombreux sont ceux qui en auraient évité la peine.

Ce nouveau jour s'est peu différentié du précédent : le soleil est revenu, le vent a tourné plein Sud, la protection de l'île a été un peu meilleure, mais le timing a été le même : calme le matin, montée progressive du vent et de la mer jusqu'à 22 nœuds en milieu d'après-midi, retour au calme après la tombée de la nuit. En sera-t-il de même pour la nuit ? Les fichiers de prévision des vents nous disent que le grand frais est passé, mais que le vent restera du Sud, exactement dans le nez de là où nous devons aller, jusqu'à Samedi où il adonnera Sud-Sud-Est, ce qui devrait nous permettre de partir en louvoyant, probablement en s'aidant du moteur pour améliorer la remontée au vent.

Les jours suivants devraient voir le vent adonner jusqu'à Richard's Bay, dont l'entrée par un vent de travers prévu actuellement de 25 à 30 nœuds devrait être la dernière difficulté de ce voyage.

En dehors des tâches courantes, Bernard a mesuré l'étai de trinquette rompu, en a dessiné et côté les détails et en a commandé un autre ; pour ma part, j'ai fabriqué 1 kg de brioche pour quatre petits-déjeuners, avec l'espoir de suppléer à la proche pénurie du beurre embarqué à Madagascar. Ce n'est pas grand-chose, mais, ajouté aux mouvements que nous sommes amenés à faire en permanence pour garder l'équilibre, suffit à nous envoyer tôt dans nos couchettes.



Mercredi 7 Novembre 

Île Bazaruto, Mozambique, mouillage un peu au Nord de la pointe Gengareme.

Dixième jour à ce mouillage d'attente.

Pendant la nuit, le vent a tourné, il vient maintenant du Sud-Sud-Ouest, plutôt léger, et le mouillage est enfin calme. Mais ce vent se renforce vite, et le dandinement reprend. Il s'agit des prémisses du grand frais dont le paroxysme est prévu ici pour demain, prévision qui a entraîné le report de notre départ Dimanche passé. Nous prenons cet épisode d'autant mieux que cela renforce notre confiance dans les prévisions, qui continuent à annoncer du vent portant et maniable pour la semaine prochaine : notre départ reste donc prévu Samedi 10 Novembre, et peut-être même Vendredi après-midi, ce qui permettrait d'aller passer la dernière nuit au mouillage de la passe Sud en profitant de la marée montante pour naviguer entre les bans de sable.


Un second catamaran arrive du Nord, probablement moins de 10 m, architecture anglaise, son équipage disparaît pour aller dormir dès qu'il a mouillé. Nous sommes maintenant quatre bateaux à attendre.

Des pêcheurs s'activent toujours aux alentours, mais le changement de temps influe sur leur pratique, du moins pour les barques motorisées : plutôt que de jeter leur filet à quelques centaines de mètres de la plage pour le ramener à celle-ci depuis le bord, elles embarquent une huitaine de matelots pour aller jeter et remonter leur filet plus au large, sans que je puisse déterminer si c'est sur les bancs de sable ou dans les chenaux.

Vers midi, le vent de Sud-Sud-Ouest atteint 25 noeuds ; le fetch, c'est à dire la distance sur laquelle le vent exerce son action sur l'eau sans rencontrer d'obstacle, étant important, le mouillage est parcouru de vagues courtes et de petits moutons blancs ; le bateau, que le courant éloigne du lit du vent, roule comme un métronome. Bernard ouvre les huitres qu'il a ramassé hier ; petites, coquilles très épaisses, chair plutôt ferme, de goût comparable à ce que vous connaissez. La barque motorisée qui nous a vendu hier des sardines vient à nous ; à bord, deux hommes, deux femmes dont l'une d'âge à être jeune grand-mère, et un enfant. Tous sont vêtus légèrement d'un teeshirt, le garçonnet tremble de froid sous la pluie fine. Ils nous vendent 2 kg de sardines et repartent sans perdre de temps, visiblement étonnés de nous voir manger des huitres ; seraient-ils d'une des tendances coraniques qui en proscrit la consommation ?


 Leur moteur est tel que ceux qu'on voit couramment en Asie : un long tube prolonge l'arbre d'un moteur de tondeuse à gazon jusqu'à l'hélice ; c'est évidemment peu coûteux à fabriquer et à entretenir, mais le rendement ne doit pas être très bon, pour deux raisons ; d'abord l'hélice est inclinée, une partie de sa force s'exerce vers le haut, ce qui n'amène qu'à lever la poupe et à enfoncer la proue ; ensuite l'hélice affleure la surface, la pression de l'eau sur les pales est de ce fait minimale, ces pales ne peuvent l'augmenter beaucoup sans faire jaillir l'eau en aspirant de l'air, le tout sans beaucoup de résultat sur la propulsion ; en combien de temps d'utilisation le surcoût de carburant annihile-t'il l'économie réalisée à l'investissement ?

Au menu, huitres, salade de nos dernières tomates achetées à Madagascar, calamar poêlé, riz, dernière banane, petite mangue.  La mer s'étant organisée en une petite houle traverse au bateau, nous mangeons à la table du cockpit avec difficulté, sur des nappes anti-dérapantes, à l'affût de tout ce qui voudrait tomber.

L'après-midi, après la sieste, Bernard vide les sardines dans la jupe arrière, il les met ensuite dans un récipient posé sur le banc du cockpit ; lorsqu'il se retourne, le récipient a versé, répandant les sardines entre les lattes de bois ; je fais la vaisselle avec difficulté, ne disposant que de l'évier et du réchaud à cardan pour poser la vaisselle sale, la vaisselle savonnée, la vaisselle rincée à l'eau de mer, la vaisselle rincée à l'eau douce et la vaisselle essuyée ; heureusement, je dispose de mes deux mains, un pied calé à tribord sur le bas de l'évier, l'autre calé à babord sur le bas du coffre sous le réchaud.

J'écoute ensuite de la musique dans le cockpit, me tenant d'une main, comparant le comportement de notre bateau avec les trois autres bateaux au mouillage ; si l'adage « Gros rouleur, bon marcheur » dit vrai, l'OVNI doit en être un excellent. Et quel ignorant a un jour chanté : « Qu'il est donc doux de rester sans rien faire tandis que tout s'agite autour de soi » ?

Le soir, le vent est retombé à 16 noeuds ; le bateau est mieux orienté, il ne roule quasiment plus. Petit punch habituel, puis nous dînons de sardines et de biscottes, soucieux de préserver une bonne partie des pommes de terre qui nous restent pour la prochaine traversée.


Mardi 6 Novembre 

Île Bazaruto, Mozambique, mouillage un peu au Nord de la pointe Gengareme.

Neuvième jour à ce mouillage d'attente.

Ce matin, les fichiers de prédiction des vents confirment l'opportunité de partir Samedi : la première journée devrait se faire au près très très serré, voir en partie au louvoyage, mais par vent modéré, ensuite l'inflexion de la côte et l'adonnement progressif du vent devrait nous amener en Afrique du Sud vent portant, donc beaucoup moins inconfortablement, en 3 à 4 jours de vents également modérés. Bien sûr les prévisions peuvent changer - le  cyclone qui est prévu au Nord-Est de Madagascar est quasiment stationnaire avec des vents de 70 nœuds (130 km/h)  - mais nous sommes confiants car nous comprenons bien l'origine de cette évolution, qui va dans le sens du printemps austral : la constitution progressive d'un très grand anticyclone sur le Sud du Cap de Bonne Espérance.

Notre destination en Afrique du Sud n'est pas encore fixée entre Richard's Bay et Durban, deux ports parfaitement équipés et sécurisés, l'objectif premier étant de trouver une place au bateau jusque mi-Janvier au plus tôt, l'objectif second étant d'accéder à un aéroport.

Ce matin, la marée est basse. Le bord de mer s'est considérablement rapproché du bateau en découvrant une très large plage quasi horizontale : descendant à terre, nous souffrons un peu à faire rouler l'annexe sur les 200 à 300 m de sable pas toujours très dur qui nous séparent de la laisse de haute mer.  Nous partons promener le long de la plage, vers le Sud et la pointe Gengareme, puis au-delà, vers le resort qui nous a permis d'acquérir une puce téléphonique d'accès à Internet.


Passé la pointe, la partie horizontale de la plage s'élargit jusqu'à 700 ou 800 m ; bâches et baïnes, sillons, bancs de rochers plats, bans de corail mort attaqué par la mer en une dentelle difficilement franchissable, coquillages de formes inconnues, oiseaux. Une huîtrière sauvage ne semble intéresser personne ; les huîtres sont petites mais très bonnes, accrochées les unes aux autres pour former une gangue autour de leur rocher. Bernard en détache un gros bloc qu'il ramène au bateau.













Des petits crabes de sable, surpris hors de leur trou, s'enfuient devant nous ; lorsqu'ils sont épuisés et que nous les rattrapons, ils s'ensablent jusqu'à ce que leur dos affleure, protection dérisoire et comportement inadapté que beaucoup d'humains adoptent ; plutôt que fuir, de se cacher de, ou même d'affronter ceux dont on croit qu'ils nous veulent du mal, ne vaudrait-il pas mieux s'esquiver vers le côté ?

Peu à peu, le cordon dunaire s'élève, des cases apparaissent dessus, dispersées, des barques sont échouées de çi de là. Enfin, le cordon dunaire devient une grande pente rocheuse et multicolore, des cases apparaissent entre cette pente et la plage, une grosse barque de pêche débarque sa cargaison, un atelier de vidage des sardines s'active.


















Le resort est encore très loin, probablement faut-il en tout 1h30 de marche pour le rejoindre par cet itinéraire, nous n'avons rien à y faire, nous faisons demi-tour.














De retour près de la pointe, nous rencontrons quatre des six gamins auxquels Bernard a donné hier des fils de pêche équipés de petits hameçons avant de leur acheter un calamar. Ils sont allés essayer ces lignes et reviennent, très fiers, avec quelques poissons plats d'une dizaine de centimètres de long.


Retour à l'annexe, une grosse barque de pêche motorisée vient de débarquer son poisson ; un des pêcheurs nous montre une magnifique sardine d'un bleu presque métallique ; il ne parle que portugais, mais nous n'avons aucun mal à lui en acheter en lui tendant un petit sac en plastique ; dans le lot, il ajoutera deux autres sortes de petits poissons ; nous les mangerons à midi, vidées, farinées puis frites à la poêle dans un peu d'huile, avec une nette préférence pour les sardines.

Après une longue sieste mouvementée de roulis, bricolage et réparations diverses.


Lundi 5 Novembre 

Île Bazaruto, Mozambique, mouillage un peu au Nord de la pointe Gengareme.

Huitième jour à ce mouillage d'attente.

C'est rageant, sur deux points.

D'une, en consultant les cartes de vents de ce matin, nous venons de comprendre que nous avons manqué l'opportunité de partir dès hier matin pour Maputo, qui se situe à deux jours de mer de là où nous sommes ; nous avions écarté ce mouillage car il nous semblait d'accès délicat, enserré dans des bancs de sable, et que, pour le quitter, il faut souvent affronter un vent debout qui s'étend plusieurs dizaine de milles au large ; mais cette option nous aurait fait gagner trois ou quatre jours sur les deux plans qui nous restent.

La seconde information râlante, c'est que notre routeur spécialiste local nous déconseille absolument deux des trois mouillages d'Imhambane ; seul le troisième, celui au Nord-Ouest immédiat du phare, est praticable sans danger et confortablement par vent de Sud ; mais il nous recommande très vivement de ne pas y arriver par vent de Nord-Est ; hors la bascule des vents, de Nord-Est à Sud, est prévue au milieu de la nuit de mardi à mercredi prochain, ce qui nous obligerait à attendre à la cape au vent d'une côte sableuse puis à mouiller de nuit près d'une plage inconnue et non balisée.

L'alternative est de rester où nous sommes, à l'abri de l'île Bazaruto, en attendant jusque samedi prochain une longue opportunité qui apparaît sur les cartes météo : un anticyclone très vaste au Sud du Cap de Bonne Espérance, qui devrait nous amener des vents maniables pendant au minimum quatre jours ; nous arriverions alors  Afrique du Sud dans une dizaine de jours.

Nous décidons de discuter de ces deux options avec nos deux voisins de mouillage avant midi, car si nous partons, il faut le faire à marée haute, en début d'après-midi. Alors que Bernard s'apprête à rejoindre ces voisins en annexe, une grosse barque s'approche, montée par six gamins de 7 à 12 ans ; deux rament, un de chaque bord, avec des rames constituées d'une branche sur laquelle est clouée un disque de contreplaqué, un troisième barre, les trois plus jeunes regardent. Ils pêchent autour de nous depuis un bon moment, à la dandinette, et je les ai vus ramener au moins un calamar. Bernard leur donne six des petites lignes de pêche qu'il avait acheté à La Réunion en prévision de telles rencontres, puis leur demande s'ils ont un calamar à nous vendre. Ils en exhibent un avec fierté. Bernard  va chercher deux dollars et leur donne. Ils ressortent un calamar de leur barque et nous le donnent, mais je soupçonne qu'ils nous aient donné un plus petit calamar que celui qu'ils nous avaient montré...



































Finalement, la décision est prise : aucun des trois bateaux ne partira aujourd'hui, tous attendront la période favorable attendue samedi prochain ; il nous faut donc patienter au minimum cinq jours de plus, avec la perspective de ne rejoindre l'Afrique du Sud au mieux que dans dix jours. Nous ne manquerons de rien, sauf de légumes et de fruits, et peut-être d'eau douce pour se dessaler.

Une très grosse barque de pêche motorisée s'approche alors en pétaradant librement ; elle est montée par deux hommes plus Sergio l'adolescent que nous avions amené mardi passé au resort. Ils nous proposent des sardines, dont une belle quantité est présente au fond de leur bateau ; nous déclinons car nous ne manquons pas de poisson ; Sergio, curieux, nous demande à voir notre intérieur ; nous lui signifions notre accord, il se précipite dans notre cockpit, suivi des yeux par ses deux co-équipiers. Bernard croit comprendre que ces pêcheurs nous proposent de l'eau douce ; nous leur confions 3 jerrycans à remplir.

Nous partons à terre en annexe, bien décidés à trouver le magasin dont nous a parlé le pêcheur qui nous a vendu des calamars Mercredi passé. En haut de la plage, sous une toiture végétale, un atelier de vidage des sardines est en pleine activité ; Bernard demande à le photographier, les femmes qui y travaillent s'y refusent. La barque qui a emmené nos jerrycans a déjà amené sa pêche dans cet atelier, une autre grosse barque est en train de le faire, débarquant en plusieurs cageots plus de 100 kg de poisson. Nos jerrycans ont été promptement remplis ; nous les récupérons dans l'annexe et Bernard donne un dollar à l'adolescent qui s'en est chargé. Nous marchons sur la plage humide, après quelques centaines de mètres, nous nous enfonçons dans les terres ; Bernard est pieds nus, il a oublié ses sandales, il n'ira pas plus loin tant le sable du sol lui brûle la plante des pieds. Aucun magasin en vue ; je ne trouve que quelques cases cachées dans des bosquets, un puits, un second terrain de foot, des chèvres entravées à des arbres par de vieux cordages synthétiques. Une femme porte de l'eau sur la tête, je la questionne de loin, elle poursuit son chemin sans un signe d'attention. Enfin, je tombe sur un salon de coiffure, simple baraque en tôle semi-ouverte près d'une case végétale ; un jeune homme se fait coiffer, deux autres attendent, déjà coiffés très élégamment, nuque et tempes rasées, cheveux en brosse, on rencontrerait les mêmes dans une cité française. Ils ne parlent que portugais, mais m'indiquent la direction du magasin. Il se situe en haut de la plage, Bernard et moi sommes passés dessous, sans le remarquer, lorsque nous marchions sur le sable humide. Ce n'est qu'une baraque en tôle semi-ouverte avec un semblant de comptoir et une unique étagère d'environ 2 m de long ; une jeune femme portant un bébé y expose et y propose des bouteilles de soda et quelques paquets de cigarettes. Pas de bières ni d'alcools, du moins à la vue.

Retour au bateau. Nous y finissons les deux langoustes accompagnées d'une salade « piémontaise ».

Après une longue sieste, Bernard recolle des poignées de l'annexe, j'écris dans le soleil. Il se couche vers 18h et, dès lors, il faut remettre une chemise, et même un pull de coton. Ce soir, je dormirai sous une petite couverture

Dimanche 4 Novembre 

Île Bazaruto, Mozambique, mouillage un peu au Nord de la pointe Gengareme.

Septième jour à ce mouillage d'attente.

Le bateau a roulé une partie de la nuit, par cycles immuables : dans un premier temps, on roule dans la couchette de droite à gauche et inversement, pas beaucoup, juste assez pour empêcher de dormir autrement qu'allongé sur le côté, un genou plié pour empêcher cette rotation ; progressivement, le roulis diminue jusqu'à disparaître en quelques dizaines de  secondes, c'est là qu'on se remet sur le dos ; et puis il reprend, léger au début, puis s'amplifie jusqu'à réveiller si on s'est assoupi ; et ainsi de suite jusqu'à s'endormir profondément de fatigue ou de lassitude.

À l'aube, le vent est complètement tombé, la mer est devenue plate comme un lac. Les fichiers de vents prévisionnels laissent entrevoir une possibilité de partir lundi après-midi, par la passe Sud, marée montante ; nous devrions ensuite régler notre voilure en fonction du courant pour arriver au prochain mouillage mardi soir, avant une nouvelle bascule qui nous bloquera de nouveau pendant trois jours. Le choix de saisir ou non cette opportunité est difficile, car le, ou plutôt les trois mouillages susceptibles de nous accueillir à Inhambane mardi soir présentent tous des inconvénients importants.

Celui derrière la pointe de Linga Linga semble d'accès et de protection correctes par vent de Nord-Est qui nous y amènera, mais pas par vent de Sud qui soufflera ensuite pendant 3 jours. Celui à l'Ouest de la pointe Imhambane est le mieux protégé des vents, mais semble d'accès très tortueux par l'Ouest, entre des bans de sable, et d'accès dangereux par l'Est, en raison d'une barre déferlante bien visible sur les images satellite. Celui immédiatement au Nord-Ouest du phare de la pointe Imhambane serait parfait pour attendre la fin des vents de Sud que nous y attendrions, mais sera probablement très inconfortable et même insécure par vent de Nord-Est qui nous y amènera.

Notre voisin de mouillage vient nous inviter à prendre connaissance des informations qu'il télécharge par téléphone satellite et à en discuter sur son catamaran, dont le cockpit est bien plus spacieux que le nôtre. Lorsque nous y allons à l'heure de l'apéro de midi, nous y rejoignons l'équipage d'un bateau arrivé peu de temps avant au mouillage. K est américain, ancien vétérinaire dans la soixantaine, il navigue autour du monde depuis plusieurs années sur un monocoque d'une grosse dizaine de mètres, d'architecture plutôt conventionnelle. Parti seul de la côte Est des USA, il a embarqué aux Philippines une compagne d'une trentaine d'années. Tous deux ne parlent qu'anglais, lui très vite, ce qui le rend difficile à comprendre, elle très peu, ce qui la rend difficile à connaître. Ils semblent bien s'entendre et se respecter, se répartissant les tâches du bord en fonction de leurs talents respectifs, bien équipés et organisés, minimisant les risques de la navigation en en acceptant les inconvénients ; on imagine facilement que leurs difficultés diffèrent des nôtres mais toutes aussi importantes. Nos hôtes du catamaran m'apparaissent quant à eux sous un autre jour que la veille. Lui d'un grand calme affirmé par une grande maitrise de lui, elle d'humeur changeante ; hier, par mauvaises conditions météo, elle affirmait vouloir abandonner l'aventure ; aujourd'hui, la mer est plate et le soleil brille, elle regrette de ne pas être allée en Alaska ou en Terre de Feu ; elle considère même que cela aurait été nécessaire pour réaliser un « vrai » tour du monde. Au fond, je la sens très fière de son voyage, de son mari, ainsi que du courage et de l'abnégation dont elle a fait preuve.

Nous nous séparons sans avoir tranché le débat de la stratégie à adopter, le reportant à demain matin, à l'évolution des prévisions, à l'avis du routeur bénévole, spécialiste du secteur, que nous avons interrogé.

À midi, nous entamons la seconde langouste « que nous aurions du mal à décortiquer en mer si nous partons demain ».

L'après-midi, l'américain monte en tête de mât pour changer une drisse ; il a préféré faire cela seul, déclinant l'aide que nous lui proposions, en nous expliquant qu'il en avait pris l'habitude pendant les années où il était solitaire. Bernard poursuit ses recherches sur Internet à propos des mouillages d'Imhambane. Je fais cuire 1 kg de pain, opération qu'il faudra reproduire dans quatre à cinq jours, donc à la fin du mouillage suivant si nos prévisions se confirment.

À la tombée du jour, nos trois bateaux s'orientent dans trois directions nettement différentes : hasards des courants, des vents, des formes de coque, des lourdeurs et des fardages, symbole des hasards de nos vies.


Samedi 3 Novembre

Île Bazaruto, Mozambique, mouillage un peu au Nord de la pointe Gengareme.

Sixième jour à ce mouillage d'attente.

Le pain que j'ai cuit hier est bien mangeable, il nous déjeunera pendant deux jours ; pas très levé, croûte épaisse et craquante, peut-être a-t'il souffert d'un excès de cuisson ; j'en avais pourtant réduit d'un quart d'heure le temps de la recette pour le ramener à une demi-heure.

Le temps n'est pas au beau ; la dépression qui nous a empêché de poursuivre est toujours là ; nous en sommes au temps des nuages gris et bas, du vent à 15 ou 20 nœuds, des averses passagères, d'une relative froidure qui me fait supporter un pull en coton sous l'abri de la capote de cockpit.

Pendant le petit-déjeuner, une pêche à la senne s'organise à côté de notre bateau ; une grosse barque part de la plage après y avoir laissé un homme, l'eau à la ceinture ; elle est montée par deux hommes, l'un au gouvernail, l'autre qui s'aide d'une perche puis d'une pagaie et deux adolescents qui rament à l'avant, l'un de chaque côté ; l'homme du gouvernail déroule un long cordage perpendiculairement à la plage, cordage qui reste tenu par l'homme de la plage ; arrivés à environ 300 m de la plage, la barque met à l'eau une bouée jaune, puis un filet de même longueur parallèlement à la plage ; c'est un filet de surface, tel celui que nous avions vu sécher hier sur la plage ; après une seconde bouée jaune d'extrémité, un autre cordage est déroulé en retour vers la plage, formant une sorte de carré. Pendant ce temps, un groupe arrive sur la plage, sorti d'on ne sait où, hommes, femmes et enfants ; la barque mouille son ancre près de la plage, l'équipage en sort, deux enfants y montent pour l'écoper ; le groupe se divise en deux, chacun tirant sur les cordages reliés aux bouées et au filet ; les deux groupes se rapprochent, ne laissant au filet qu'une ouverture d'une centaine de mètres, tout en l'orientant sous le vent et le courant. Pendant ce temps, beaucoup plus loin sur la plage, un homme court, puis tourne, entre dans l'eau, marche dans l'eau, nage dans l'eau vers le large sans objectif apparent ; sa tête reste visible un moment, puis disparaît dans les vagues qui se forment à quelque distance du rivage ; incompréhensible, j'y reviendrai par la suite, retour à la pêche à la senne : les deux sous-groupes ont maintenant halé les bouées d'extrémité jusqu'à eux, ils se rejoignent, fermant la poche ainsi créée, en réduisent peu à peu la surface jusqu'à regrouper leurs prises, transfèrent ces dernières dans un filet de transport, rapprochent la barque, rechargent le filet, le groupe repart on ne sait où, la barque repart pour une nouvelle pêche un peu plus loin.


Nous compterons ainsi 3 groupes de pêche écumant la longue plage simultanément, dont l'un utilise une barque à moteur avec une procédure différente. D'abord le moteur, établi à l'arrière, transversalement et au dessus du pont, sur un support en fers U au dessus de tout soupçon ; deux, trois ou quatre cylindres, difficile à dire sous la couche de rouille ; échappement libre, ou tout comme ;  une poulie en bout d'arbre entraîne, par un jeu de courroies sans aucune protection, un renvoi d'angle monté au bout d'un tube ; à l'autre bout du tube, un autre renvoi d'angle puis une grosse hélice en plastique ; derrière le tube, reliés à lui, deux paliers en tube supportent un arbre de gouvernail ; cette transmission hors-bord et ce gouvernail pivotent autour de la poulie pour permettre de les relever totalement ou en partie pour s'adapter à la profondeur de l'eau. Un tel moteur fait le travail de tout le groupe précédent, se satisfaisant de deux hommes sur la grosse barque, rapprochant les flotteurs d'extrémité, l'un après l'autre, jusqu'à une seule personne laissée sur la plage. Archaïsme d'un travail physique sans chômage, modernité d'un travail mécanisé consommateur de ressources, nul n'échappe à ce dilemme.



Soudain, juste devant le catamaran mouillé sous notre vent, une tête apparaît dans l'eau, qui nous semble couverte d'une cagoule noire de plongeur : probablement le skipper de ce catamaran revenant de l'inspection de son mouillage ; au vu des conditions de mer, nous comprenons son inquiétude et admirons sa détermination.

Bizarre, le plongeur est passé derrière le catamaran, en fait le tour, vient vers nous, traîne derrière lui deux petites bouteilles vides en plastique, nous sourit de toutes ses dents en se retournant pour garder notre direction, tuba restant en bouche, approche un bateau, nous salue. Nous l'aidons à monter à bord. Il est grelottant, en tee-shirt et short, sans palmes, juste masque et tuba, un harpon constitué d'un manche en bois de 1,5 m de long prolongé d'un fer à béton épointé tel une épée, deux grosses langoustes accrochées par un gros fil de pêche sous les bouteilles en plastique. Nous le reconnaissons, c'est le grand gaillard qui nous a vendu hier deux calamars sur la plage et s'est mis à l'eau ce matin pour disparaître à ma vue. Il a nagé un petit kilomètre, a plongé sur une roche immergée, a harponné les deux langoustes avec une précision diabolique, exactement au même endroit parfaitement centré entre la tête et la queue.



Il se réfugie à l'abri du vent, sous la capote du cockpit, jette un œil curieux plus qu'admiratif à l'intérieur du bateau, rigole de toutes ses dents de sa bonne fortune, se réchauffe rapidement.

Nous lui offrons à boire de l'eau, il en avale deux grands verres cul sec. La négociation commence : il nous demande 50 US$, nous transigeons à 25 après un long palabre dans un anglais difficile, car il n'accepte pas de nous vendre qu'une des deux bêtes, ayant épuisé sa clientèle privée potentielle avec sa visite infructueuse au catamaran. Environ 4 kg de langouste pour 40 €, nous ne pouvons que le féliciter pour son esprit d'initiative et nous féliciter d'en profiter. Bernard le raccompagne à la plage en annexe, marque de considération qu'il apprécie très visiblement pour n'être pas son habitude.

Aussitôt pêchées, aussitôt achetées, aussitôt cuites à la vapeur de la grande cocotte. À midi, il faut décider laquelle manger aujourd'hui ; Bernard a une réponse admirable de philosophie : « Commençons par la plus grosse, on ne sait jamais [ce qui peut arriver] ... ».

Nous rendons visite à nos voisins de catamaran. C'est un très beau Nautichech de 12 m, très bien équipé et entretenu. J et M l'ont acheté neuf il y a dix ans, lorsqu'ils ont pris leur retraite.

L'après-midi, le front froid est passé, le soleil est revenu, mais le vent reste fort, rafales à 25 nœuds.

Le soir, on danse toujours, 40° d'un bord à l'autre, 30 fois par minute, sur un concert de Snowy White.


Vendredi 2 Novembre

Île Bazaruto, Mozambique, mouillage un peu au Nord de la pointe Gengareme.

Cinquième jour à ce mouillage d'attente.

Au réveil, le vent a tourné Sud-Est, confirmant la prévision qui nous a fait mouiller ici. La protection de la côte, plus proche dans cette direction, est meilleure, quoiqu'une petite houle arrive encore à contourner l'île pour faire dansoter le bateau.

Dès lever, nous consultons les derniers fichiers de prévision des vents ; ils sont de pire en pire, annonçant même un  cyclone sur le Nord de Madagascar dans une semaine ; bien sûr, il ne nous concernera pas directement, nous avons quitté sa zone prévisionnelle d'évolution et notre mouillage est sûr ; mais il explique notre situation d'attente, entre un été tropical précoce et un hiver austral tardif.

Selon les prévisions d'aujourd'hui, notre attente devrait encore durer une semaine ; et si des évolutions importantes pourraient accélérer notre départ, elles renforceraient notre méfiance, car nous avons besoin de 4 à 5 jours de temps stabilisé pour atteindre Durban, pour autant que le vent n'en vienne pas en ligne droite.

Au petit-déjeuner, nous mangeons notre dernier pain malgache ; de qualité très ordinaire, maintenu enfermé dans un plastique au réfrigérateur depuis une dizaine de jours, il n'a pas trop durci ; un passage sur le grill suffit à le rendre masticable.

Un catamaran de croisière nous rejoint au mouillage, venant comme nous du Nord ; sitôt mouillé, ses occupants rentrent à l'intérieur ; probablement vont-ils dormir ; ne pourrait-on pas appeler cela de la navigation d'implaisance ?

J'entame la confection d'un pain par une lecture sérieuse de la documentation disponible ; « une demi-tasse d'eau » : l'imprécision des recettes me font craindre d'y laisser mes dents. La recette du sachet de levure déshydratée est formelle : mélanger la levure à la farine sans plus de précaution ; par bonheur, je ne la suis pas ; je préfère celle qui préconise de « réveiller » d'abord la levure dans de l'eau tiède et sucrée, puis de vérifier que de la mousse apparaisse, faisant foi de la vigueur de cette levure ; au second sachet, c'est bon. Le temps de pétrir, il est déjà temps de préparer à manger pour midi. Avant la sieste, second pétrissage. Après la sieste, cuisson.

Le résultat est engageant, quoi qu'un peu plat : boulanger, c'est un beau métier, surtout pour ses clients.

Durant ce temps, la pluie est arrivée avec la froidure ; elle nécessite un petit pull en coton ; ciel bas, gris, rafales, on se croirait en Bretagne en été.

« B & W », l'approvisionneur auto-proclamé, va proposer ses services au catamaran nouvellement arrivé. Il s'arrête chez nous au retour, Bernard trouve l'accord pour l'achat de 12 œufs d'origine agro-industrielle, date limite de consommation dépassée d'une semaine.

L'après-midi et le soir, alternance de pluie, vent, houle et roulis, ce dernier parfois déstabilisant. Nous restons à l'abri du cockpit ou de la cabine. Omelette aux pommes de terre. Concert de Mike Fleetwood Blues Band avec Rick Vito.



Jeudi 1er Novembre 

Île Bazaruto, Mozambique, mouillage un peu au Nord de la pointe Gengareme.

Quatrième jour à ce mouillage d'attente. Les fichiers de vent téléchargés ce matin sont de plus en plus décevants, repoussant encore notre départ vers Durban.

Nous envisageons une autre stratégie : plutôt que d'attendre 4 à 5 jours de vent portant et maniable, nous pourrions progresser jour après jour, de mouillage délicat à mouillage difficile d'accès, pendant les deux premiers jours qui devraient bénéficier de vents portants, puis attendre l'opportunité pour les 3 derniers jours, qui présentent le plus de risques de vent très fort.

Il n'est pas temps dans décider, nous traînons à petit déjeuner lorsqu'une vedette rapide vient vers nous. Elle est montée par deux hommes en uniforme militaire. Nous ne sommes pas à l'aise, n'ayant pas demandé de visa et n'ayant pas souscrit aux déclarations d'entrée du bateau. Mais il s'agit de représentants du Parc National Marin de Bazaruto, qui viennent nous réclamer le droit d'accès à ce parc. S'exprimant en anglais, ils nous demandent de déclarer sur papier libre le nom du bateau, sa nationalité, le nombre d'équipiers. Pour le prix à payer, rien n'est clair. Volontairement, jouant sur les différences minimes de prononciation entre fifty et fifteen, ils demandent d'abord 51 US$ par personne plus 20 US$ pour le bateau, soit 122 $ en tout, à payer de suite, l'autorisation d'accès ne devant nous être fournie que le lendemain. Lorsque Bernard demande confirmation de la somme à écrire sur le papier libre, le montant global descend à 51 US$.

Balade à terre, le long de la plage. «  Black and White » est en peinture ; de noir et blanc, il devient jaune et bleu, ce qui l'amène à être rebaptisé « B & W ».

De nombreux crabes rejoignent leurs trous dans le sable à notre approche. Lorsqu'ils en sont trop éloignés, ils courent se cacher dans la mer. Que peuvent-ils manger pour être si maigres qu'ils n'attirent l'attention de personne ?

Plus loin, notre attention est attirée par un panneau d'affichage rédigé en Portuguais, annonçant la construction d'un marché aux poissons. De fait, derrière la dune, nous trouvons un enclos et un bâtiment construits de neuf, avec une volonté incontestable de perénité et de fonctionnalité : eau courante, réseau et éclairage électriques, toilettes, pédiluves, éviers, station d'épuration. Le tout est neuf, n'a jamais servi, est probablement en attente d'inauguration. Mais qui viendra y acheter, à part les deux resorts de l'île ? Il n'y a aucune route d'accès.

Plus loin, en haut de la plage, une armoire technique parfaitement incongrue porte la mention : « Perigo Gas Danger ». Sa porte est tenue fermée par des blocs de béton, je l'ouvre. Elle contient un compteur entre deux gros tuyaux rejoignant le sable, qui me semble plutôt des tuyaux d'eau que de gaz ; est-ce une conduite destinée à distribuer l'eau courante au resort situé au Nord de l'île ?

Peu après, un pécheur et son fils portent un filet pendu sous une perche. Il contient une vingtaine de kilos de poissons gros comme des sardines, ainsi que deux beaux calamars que l'homme nous cède pour 5 US$ après en avoir demandé le double. Il nous donne rendez-vous pour la transaction à notre retour de balade « plus loin, à la troisième bâtisse sur la plage, près du magasin », le tout dans un anglais dont je ne garantie pas la traduction.












Nous continuons sur la plage jusqu'à atteindre un filet en cours de séchage, étendu sur le sable. Long d'environ 300 m pour 1 à 2 m de haut, en fibres synthétiques, flotteurs en plastique blanc le destinant à pêcher en surface, ses plombs sont « made in Africa » : vieilles bielles de moteur, vieux roulements à billes, tout ce qui est vieux, métallique et pas trop lourd.

Deux beaux échassiers baguenaudent sur le sable ; ils ont un bec noir très long et crochu ; lorsque nous arrivons trop près d'eux, petit envol et ils se retrouvent derrière, comme inséparables. Juste après, deux oiseaux blancs planent de concert en suivant le bord de mer. Le bonheur d'être à deux ne semble pas l'apanage des humains.

Nous allons prendre livraison de nos calamars sous une toiture végétale située en haut de la plage. Une petite dizaine de femmes, toutes vêtues de tissus plus colorés les uns que les autres, vident les sardines qu'a ramené le pêcheur, avant d'aller les relaver dans la mer. Un enfant amène un citron jaune et un gros oignon au pêcheur, qui nous propose de les acheter, S'agissait-il d'échantillons du magasin ou de ce qu'il avait prévu pour son déjeuner ? Dans le doute, nous ne pouvons que refuser. Mais le magasin ne saurait ici être qu'une épicerie ou un marchand de légumes. Nous nous promettons d'y revenir à notre prochaine descente à terre.

Retour au bateau, nettoyage des calamars, déjeuner de l'un deux : trop fraîchement pêché ? il est un peu coriace, mais cependant bien épais et excellent.

Après la sieste, Bernard démonte et nettoie le régulateur d'allure, qui présentait un point dur ; il est maintenant très propre et bien graissé, mais le point dur perdure. Pour ma part, je nettoie le pont, les panneaux, les hublots et les transparents de la capote, tous sales du sel accumulé par les embruns de notre récente traversée.

Avant dîner, bavardage et petit punch pour ne pas perdre le moral.

Pendant dîner, bavardage.

Après dîner, bavardage, musique et chansons.

Radotons-nous d'avoir perdu la mémoire, ou avons-nous toujours de nouveaux souvenirs à évoquer, d'autres certitudes à partager, d'autres anges à intercepter ? Je ne saurai trancher.


Mercredi 31 octobre

Île Bazaruto, Mozambique, mouillage un peu au Nord de la pointe Gengareme.

Troisième jour à ce mouillage d'attente.

Les espoirs qu'avaient suscité les fichiers météo reçus hier se sont évanouis. Nous savons maintenant que l'attente sera longue. Les différents scénarios que nous imaginons débutent tous Dimanche prochain.

Journée à ne rien faire.

Nous n'y verrons pas « Black and White », malgré sa promesse de venir nous vendre des calamars.

Je consulte Internet sur deux points. D'abord la photo satellite de l'île Bazaruto, qui me laisse voir une piste d'aviation légère, un second resort de très grande taille, de nombreux bâtiments disséminés dans la campagne, ainsi que plusieurs très grandes réserves d'eau douce situées sur les hauteurs, probablement dans d'anciens cratères.

Ensuite le Parc National Marin de Basaruto, qui recouvre tout l'ensemble des îles, îlots et bancs de sable de la région, havre de vie marine, dont une colonie de dugongs très en danger, en particulier par un important projet de développement touristique des îles.

Nous projetons une ballade à terre en fin d'après-midi, mais, la nuit venant, nous sommes encore au bateau. Nous repoussons cette velléité au lendemain.


Mardi 30 octobre

Île Bazaruto, Mozambique, mouillage un peu au Nord de la pointe Gengareme.

Pour ce second jour à ce mouillage d'attente, nous avons tôt le matin la visite de « Black and White », autrement nommée « B & W », une grosse barque montée par deux hommes et un enfant, qui vient nous proposer quelques fruits, quelques légumes et des œufs. L'homme parle un anglais correct, les prix exprimés en dollars américains sont ceux de Paris. Bernard négocie ferme, et le prix de son panier passe de 25 à 10 dollars rien qu'en retirant 6 œufs. L'homme nous promet des calamars pour le lendemain ainsi que, peut-être, une puce téléphonique pour connexion Internet.

Ensuite, nous allons à terre. Annexe faisant, nous récupérons un jouet-maquette de bateau, fabriqué par un enfant, qui s'est échappé au delà de là où l'on a pied. Nous la ramenons à trois enfants jouant sur la plage avec de vieux pneus de cyclomoteur en tant que cerceau. Bonne entrée en relation, mais les petits ne parlent ni anglais, ni français. Deux grands frères adolescents arrivent ; ils fréquentent l'école de l'île et baragouinent quelques mots d'anglais ; ils veulent nous amener à leur professeur, qui parle l'anglais, le français et le portugais ; nous ne donnons pas suite car nous craignons que l'annexe s'échoue trop haut sur la plage particulièrement peu pentue, ce qui nous aurait obligé à la traîner sur une grande distance pour rembarquer. Nous constatons toutefois que l'habitat, très dispersé, se divise entre petites cases traditionnelles de forme ronde et baraques construites en parpaings et béton. Une femme puise de l'eau qui parait bien claire à 5 ou 6 m de profondeur. Des pistes sont bien tracées, nous y voyons circuler un quad très récent. Un terrain de foot, beaucoup de déchets métalliques et plastiques, aucune culture. Un petit bâtiment s'enorgueillit d'une enseigne « Mini Shoop » mais il a perdu cette fonction pour devenir habitation. Les ados nous signalent l'existence d'un restaurant à 20 minutes de marche, en nous disant que nous pourrions nous y procurer une puce téléphonique de connexion à Internet. La marée ne nous laisse pas le temps d'y aller à pieds sereinement.  Nous retournons à l'annexe, y embarquons un des deux adolescents en tant que guide et partons longer la côte à la recherche du restaurant.

Nous y arrivons en 30 minutes, après être passé au-dessus de plusieurs filets de pêcheur nous coupant la route.

Il ne s'agit pas d'un restaurant, mais d'un resort de très beau standing. Le personnel, nombreux, nous y accueille très gentiment, nous dé-sablant les pieds sans soucis de l'eau douce utilisée. Une grande piscine à débordement, un garage à kayaks et à planches à voile, de très nombreuses paillotes faisant office de parasol de plage, un grand salon et une grande salle à manger façon marine, on pourrait se croire n'importe où, mais pas en Mozambique. Le directeur, métisse, comprend bien nos besoins. Il commande pour nous une puce Internet qui arrivera au bateau de 15h. En attendant, nous prenons un repas complet, entrée, plat, dessert, verre de bon vin, le tout excellent et payé on ne sait combien, mais probablement assez cher, en monnaie locale et par carte bancaire.











Le bateau de liaison arrive alors que nous faisons la sieste sous une paillote. Il amène quelques nouveaux clients, quasiment tous blancs. Auparavant, un groupe est arrivé sur la plage, sept ou huit noirs et noires, affublés de costumes aussi folkloriques que grotesques ; à l'arrivée des clients, la simagrée commence : le tam-tam    la rythme, mal, les chanteurs la chantent, mal, les danseurs la danse, mal. À la décharge de ces derniers, danser dans le sable sec et mou doit être mission impossible. Une fois les clients montés sur la plage, le groupe se retourne sans arrêter la simagrée. Les bagages des clients suivent, gros sacs et valises portés par les marins marchant dans les vagues, puis confiés aux employés du resort, dont deux vigiles affublés d'uniformes bleu-noir, de rangers et de menottes accrochées à leurs ceinturons. La simagrée se termine, Bernard et moi sommes les seuls à applaudir, le groupe se retire, suivant la plage en marchant en ligne comme des militaires vaincus retournant dans leurs foyers.




Le bateau de liaison a aussi amené notre puce de connexion à Internet : plusieurs giga-octets de données potentielles, que le faible débit de l'antenne locale ne nous autorisera jamais à épuiser. Mais nous pouvons maintenant consulter les prévisions météo, accéder à nos emails et nous renseigner sur ce qui nous entoure.



Lundi 29 octobre

Île Bazaruto, Mozambique, mouillage un peu au Nord de la pointe Gengareme.

Madagascar et la traversée du Canal de Mozambique étant derrière nous, ce mouillage s'est imposé en raison de prévisions météorologiques alarmantes pour les jours à venir et parce que l'étape suivante vers Durban n'offre aucun abri parfaitement sûr, tout en exigeant 4 à 5 jours de navigation. De plus, le courant des Aiguilles rend cette prochaine étape très sensible au vent contraire, susceptible de transformer un vent fort en mer dangereuse. Il nous faut donc attendre un créneau favorable en étudiant très sérieusement les fichiers de vent.
Bon vent (fort) pour descendre lundi MAIS vent (fort) dans le pif le lendemain Mardi

Notre première journée dans ce mouillage sera une journée de récupération : cuisine, sieste. La température a bien diminuée, nous ne soufrons plus de la chaleur.





 

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