Par Hervé
Mercredi 24 au Dimanche 28 octobre
Traversée du Canal du Mozambique : première étape de Madagascar au Mozambique
À quoi bon décrire heure par heure 5 jours monotones, qui ne diffèrent entre eux que par des détails ou des circonstances qui se répètent immuablement ?
5 jours de près babord amure, plus ou moins serré, plus ou moins bon plein, selon la force du vent, l'état de la mer et la capacité du régulateur d'allure ou du pilote à remplacer un barreur dans des conditions extrêmement variables.
5 jours de vent très faible à fort, de Sud-Sud-Est à Est-Sud-Est, de mer très plate à très confuse, sans logique très apparente autre que celle des trois courants circulaires qui commandent la navigation dans ce Canal incertain. Bien sûr, l'état de la mer dépend de la force du vent, mais pas que... La mer garde pendant plusieurs heures la mémoire du vent qui a soufflé localement ; elle diffuse pendant plusieurs jours la houle qui s'est formée très loin, dans les coups de vent des hautes latitudes australes.
5 jours pour décrire un grand arc de cercle entre l'île Nosy Chesterfield à Madagascar et île Bazaruto en Mozambique, en suivant les courants circulaires et le vent moyen qui évolue du Sud-Ouest au Sud-Est.
5 jours à éviter - pas toujours - de vagues embruns qui volent au dessus de la capote pour venir mourir vaguement dans le cockpit.
5 jours et trois bateaux passant au loin sur cette mer vide d'humains, sur laquelle volent des escadrilles d'oiseaux, tous noirs ou tous blancs, zigzaguant en rase-vague à la recherche de leurs festins ou volant haut et droit à la recherche de leurs destins.
5 jours à se tenir d'une main pour éviter de valser, à faire d'une seule main ce qu'on a toujours fait à deux mains, à s'accrocher aux chambranles, aux fargues, aux mains courantes, à ce qu'on peut pour éviter de glisser sur le sol glissant d'être incliné, à manger peu et souvent des aliments choisis non par envie mais pour leur digestibilité, pommes de terre à l'eau, oeufs durs, biscuits, bananes, à veiller jour et nuit, à dormir quant on peut en trampolinant sur la couchette chaque fois que le bateau, s'étant élevé au dessus d'une vague, retombe dans le creux qui suit avec un inimaginable bruit de tôle frappant l'eau de tout son plat.
5 jours à tanguer de vagues en lames, pour ne plus avoir à le faire de vague à l'âme.
5 jours à attendre, à penser, à rêver, à régler les voiles, à régler le régulateur, à préférer le pilote, à rouler puis à dérouler le génois, à prendre un ris, puis deux, à les larguer quelques temps après, à lire si on peut, à écouter de la musique, le vent ou le moteur.
5 jours inutiles, stupides, avec pour seul objectif de déplacer un bateau d'un point à un autre, avec pour seule satisfaction de l'avoir fait sans avoir eu froid ni être tombé.
5 jours à se dire que cela aura une fin, que la navigation de plaisance, dans ces conditions, n'a rien de plaisant mais pourrait être bien pire.
5 jours pour passer d'un endroit qu'on ne regrette pas à un endroit où personne ne nous attend.
« Il y a trois sortes d'hommes : les vivants, les morts, et ceux qui vont sur la mer ». En as-t'on vraiment le choix lorsqu'un rêve nous guide ?